Va-t-on assister, dans les prochaines années, à l’essor de la digitalisation du parcours de soin ? C’est en tout cas l’hypothèse d’Emmanuel Michaud, consultant e-santé, qui identifie deux facteurs très positifs : « D’abord, le numérique est vraiment entré dans les pratiques quotidiennes de la plupart des Français, qui l’utilisent pour leurs opérations bancaires ou pour acheter en ligne. Ensuite, on constate une volonté des pouvoirs publics de transformer en profondeur le système de santé grâce au numérique avec le projet Ma santé 2022 ». Ce contexte favorable incite de plus en plus d’établissements de soin à se lancer dans la démarche. Encore faut-il savoir comment s’y prendre…
Penser le parcours de bout en bout
« Il est essentiel d’adopter une méthode pour accompagner le changement », estime Emmanuel Michaud. Le préalable consiste à décrire le processus actuel pour le repenser. Par exemple, quel est le niveau de sensibilité du parcours du patient ? Car entre se faire opérer du cœur et poser un nouvel appareil dentaire, les risques ne sont pas les mêmes ! Deuxième étape : comprendre les contraintes des professionnels de santé en charge du suivi et chercher des solutions concrètes pour chaque spécialité médicale. Troisièmement : décloisonner la prise en charge du patient entre les différents services, voire établissements qui feront partis de son parcours thérapeutique. « La prise en charge ne doit pas commencer par l’admission dans l’établissement de soin et se finir à la sortie. L’idéal est d’appréhender l’ensemble du parcours du patient de la mise en relation du médecin généraliste avec le spécialiste en passant par l’hospitalisation jusqu’à un éventuel établissement pour la convalescence, explique l’expert. L’approche doit être globale. A ce stade, la prise en compte de la nécessité du partage des données de santé, ainsi, que l’ergonomie de la solution, deviennent déterminants pour la réussite du projet.
Intégrer les contraintes et les spécificités
Un autre point de vigilance concerne les multiples contraintes à prendre en compte -d’identification, de facturation ou encore de sécurité des données – propres à chaque profession de santé. Mais avec des applications métiers spécifiques et des interfaces hétérogènes, difficile d’y voir clair. « La meilleure démarche consiste à penser le parcours de soin digital de A à Z, pour ensuite l’adapter à ces spécificités, puis intégrer les contraintes », rappelle Emmanuel Michaud. Enfin, avant de se lancer dans une course à la digitalisation, il est utile de marquer un temps de réflexion pour intégrer ceux qui n’ont pas accès au numérique et leur proposer des alternatives. « Toute technologie a ses limites : certaines étapes doivent toujours rester en face à face (dialogue singulier) avec les professionnels de santé. »
Qui dit accompagnement du changement dit aussi – et surtout – pédagogie. « Elle est indispensable pour surmonter les réticences de certains professionnels qui n’ont pas toujours le temps de se former à ce nouveau processus. »
Le consentement comme levier des parcours numériques
Reste à prendre en compte un point crucial : les droits du patient dans le parcours numérique. Pour Emmanuel Michaud, « il faut lui expliquer la démarche pour s’assurer de son niveau de consentement, désigner une personne de confiance, définir les directives anticipées ou encore s’assurer de son accord pour l’alimentation de son dossier médical partagé ». Le patient doit également être informé de ses droits concernant ses données de santé. Ainsi, il n’est pas possible d’interdire à l’établissement de collecter des données le concernant. En revanche, il est en droit de savoir ce qui va en être fait – par exemple, une utilisation statistique ou en étude de cas – et aussi de refuser leur usage en dehors de l’équipe de soins.
Trois étapes sont donc nécessaires pour obtenir le consentement du patient, rappelle l’expert : il s’agit d’abord de s’assurer de son identité, pour sécuriser l’imputabilité de toutes ses décisions ; ensuite, de lui proposer un parcours d’information afin d’obtenir une décision réellement éclairée ; enfin, de lui faire signer tous les documents avec des outils de signature électronique qualifiées.
« Le médecin, qui est au cœur de cette démarche, peut mettre en ligne des informations sur les soins qu’il va prodiguer à son patient (interviews vidéos, animations explicatives, etc.), nécessaires pour éclairer la décision de son patient ». Tout le monde est gagnant : le médecin gagne du temps et il a en face de lui un patient informé et rassuré, qui pose des questions plus spécifiques.
« Toute la difficulté réside dans le cadre législatif qui impose de pouvoir invoquer à tout moment, et pour tout acte, un consentement explicite et éclairé, ajoute Emmanuel Michaud. Je suis convaincu que la gestion du consentement est la clé de voûte pour encourager le patient à s’engager dans le parcours de santé numérique. Celui-ci doit être responsabilisé dans ses décisions tout en ayant la possibilité de revenir sur ses choix initiaux. » La révolution digitale serait aussi celle du patient : désormais impliqué, volontaire et responsable de son parcours de soin.